Kafe Politika: « Enjeux urbains de la ville d’Antananarivo »
Antananarivo, plus grande ville et capitale de Madagascar est l’objet du 5ème Kafe Politika organisé par l’Institut d’Etudes Politiques Altitude Group pour la soirée du 26 Avril 2023. Pour discuter et débattre autour des enjeux urbains de la ville d’Antananarivo, des invités prestigieux ont fait l’honneur de leurs présences, ainsi, madame Catherine FOURNET-GUERIN, docteure en géographie et professeure à l’université de Sorbonne et monsieur le maire de la ville d’Antananarivo Naina ANDRIANTSITOHAINA ont fait part de leurs analyses et réflexions par rapport à ce thème. La professeure possède une vision critique et temporelle de la ville car y a travaillé pour la première fois en 1994, monsieur le maire, quant à lui, va présenter ses réflexions via un regard d’homme politique et donc via un aspect plus pratique.
En 1610, le roi Andrianjaka nomme un nom à la capitale établie par ces prédécesseurs. Il baptise alors la capitale Antananarivo signifiant la « la ville des Mille ». La Commune Urbaine d’Antananarivo (CUA) est née en 1995. Depuis plusieurs années, la ville présente divers enjeux en relation avec différents domaines de la société : nous assistons à une importante pauvreté, un Indice de Développement Humain faible et à une surpopulation.
Antananarivo : une ville des pays du Sud comme une autre
Madagascar est catégorisée comme un pays faisant partie des pays du Sud, par conséquent, la ville d’Antananarivo revêt des caractères similaires et semblables aux autres villes des autres pays du Sud selon Catherine Fournet-Guérin : de ce fait, elle a les mêmes problèmes que ces dites villes. Tout d’abord, toutes les villes des pays du Sud ont en commun un problème de congestion c’est-à-dire une difficulté au niveau de la circulation dans la ville, un problème qui s’explique par le peu de routes. En outre, ces villes sont caractérisées par une importante pollution atmosphérique et par la difficulté de fonctionnement des services publics étant donné le faible budget des communes, du recouvrement fiscal : à Dakar, par exemple, il y a eu des manifestations de mécontentement de la part de la population en raison des problèmes d’électricité. En outre, les villes des pays du Sud sont marquées par une pauvreté urbaine nonobstant le fait que déterminer la pauvreté reste difficile étant donné le manque de données statistiques : la docteure donne alors comme exemples les villes de l’Inde, celles du Brésil et de bien d’autres encore. Une inégalité sociale en croissance est aussi à noter dans ces villes sans oublier la croissance démographique caractérisée par une croissance lente en ville par rapport à l’ensemble du pays : Antananarivo et Dakar illustrent ce point.
Dans l’analyse des villes des pays du Sud, il est nécessaire de considérer la temporalité qui implique aussi la considération de l’espace. Pour illustrer cela, nous pouvons remarquer qu’il existe des problèmes à Madagascar qui existaient en Europe il y a 100 ans.
Antananarivo : une ville unique
Malgré le fait que les villes des pays du Sud partagent des points communs, la ville des Mille présente tout de même des singularités que la professeure en géographie a fait remarquer. Comparées aux autres villes des pays du Sud comme celles de l’Inde et de l’Indonésie, Antananarivo est une ville ancienne donc il s’agit d’une ville ayant une grande histoire forte et importante. La ville d’Antananarivo était effectivement une capitale royale et ce statut de capitale a été maintenu lors de la conquête coloniale, ce qui est assez rare au niveau de la gestion coloniale. De plus, la ville des mille possède un important patrimoine et une grande richesse culturelle dont il est nécessaire de faire la promotion par l’intermédiaire du marketing urbain. Enfin, la ville d’Antananarivo est unique de par la mixité de la population. On y retrouve des personnes d’origines diverses comme celles venant des autres pays africains, provenant de l’archipel des Mascareignes, d’Inde, d’Europe et bien d’autres encore.
Le regard de monsieur le maire sur la ville : « Gérer Tana, c’est gérer des déséquilibres »
Pour le maire, gérer la ville d’Antananarivo c’est gérer différentes idées, c’est gérer des inégalités sociales flagrantes. De plus, la capitale malgache fait face à des afflux de migrations internes, alors que selon le Maire, les conditions de vie urbaines sont au contraire plus difficiles. La ville compte tous les ans 100 000 personnes en plus qui se concentrent dans les quartiers les plus insalubres, ce qui accroit les problèmes urbains : inégalités, insécurité accrue, inondations, problème de gestion des déchets et des eaux usées…
La croissance urbaine : entre démographie galopante et migrations internes
Les citadins de la ville d’Antananarivo représenteraient près de 1 600 000 habitants, néanmoins ce chiffre double presque en prenant en compte les personnes qui réalisent des va-et-vient dans la ville. Cependant, le taux de migration est difficile à déterminer car les enregistrements ne se font pas dans le cas des départs de la ville. En effet, il faut prendre en compte également le phénomène des migrations circulantes des individus qui ne vivent pas en ville mais qui y viennent pour réaliser des activités commerciales par exemple.
Cependant, il ne faut pas négliger la croissance démographique qui s’explique par la natalité car la majeure partie de cette croissance est due à la montée du taux de natalité même si par proportion, la natalité dans la ville baisse en comparant avec les autres zones.
Selon Catherine Fournet-Guerin, il est impossible d’interdire les migrations urbaines. En effet, elle explicite que l’Histoire nous démontre qu’une ville qui perd ses habitants, est une ville en crise. Pour elle, il faut faire preuve de patience face aux difficultés engendrées par cette migration, étant donné que le développement économique et social va de pair avec l’urbanisation. En d’autres termes, la venue de citoyens va se faire en parallèle avec le développement de la ville engendrant un développement économique et social : un développement qui sera opérationnel après des décennies néanmoins. En somme, il faut voir en la croissance démographique, une opportunité pour développer la ville.
L’équipe de la mairie a travaillé durant ces trois dernières années dans le développement des communes autour de la ville d’Antananarivo : par ce fait, les habitants n’iront pas forcément au centre-ville soit à Analakely car ils auront déjà toutes les ressources dont ils ont besoin dans leurs propres communes c’est-à-dire des entreprises, des magasins… Comme dit monsieur le maire, il faut que ces habitants montent en ville quand ils en envient et parce qu’ils n’ont pas le choix. Par ailleurs, il propose la mise en place de nouveaux moyens de transport, une solution partagée avec la docteure en géographie. Cependant, le représentant de la Commune Urbaine d’Antananarivo entre en divergence avec la professeure dans le cadre des apports de la croissance démographique : celui-ci considère cela comme une source de soucis et de problèmes étant donné les charges que représente la population en plus. Cela ne signifie pas qu’il propose l’arrêt de la venue des autres citoyens mais il est d’avis qu’il faut les réguler, les gérer et les axer vers d’autres pôles.
L’emploi : un grand enjeu pour la capitale
Suivant les propos et pensées de la professeure de Sorbonne, la ville d’Antananarivo représente la source de richesse de la Grande Île. De ce fait, la vulgarisation et la multiplication des emplois informels dans la capitale engendrent des conséquences non négligeables sur l’économie de Madagascar. Le manque d’emplois formels entraine des inégalités au niveau de la société car ces métiers nécessitent des qualifications bien distinctes or il existe des indépendants qui vivent dans une grande précarité. La formalisation de l’économie constitue alors une bonne idée mais elle se fait à long terme.
Monsieur Naina Andriantsitohaina a avancé une idée assez originale : pour lui, l’informel représente un poids économique important pour la ville et donc qu’il n’est pas question de lutter contre le secteur informel. Il affirme que sans ce secteur – nous n’aurions pas pu survivre lors des deux ans de crise liée au COVID-. L’homme politique propose une gestion du secteur et la lutte contre celui-ci : il illustre cela par l’utilisation des charrettes, près de 3000 à 4000 personnes usent de ce matériel, ainsi, les prohiber représenterait une grande injustice pour la population. En ce moment, la circonscription administrative travaille avec le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) dans des projets de recyclage afin de mettre en place de nouveaux métiers pour la population urbaine ne possédant pas de compétences pour travailler dans le secteur formel. Parmi ces projets, nous pouvons louer les efforts pour le projet consistant à transformer les déchets en charbon. En d’autres termes, le maire appuie sur l’importance de l’aspect social dans la réalisation des projets, c’est pourquoi, il prévaut le développement en harmonie avec les autres Communes, un équilibre entre la ruralité et l’urbanisme, un travail corrélé avec les villes approximatives et un équilibre entre l’informel et le formel.
Concrètement, quelles sont les mesures prises et à prendre ?
L’homme politique a énoncé les projets et actions pour répondre aux enjeux de la ville. Avant toute chose, il est nécessaire de remettre tout à niveau dans l’infrastructure communale. Cette remise à niveau concerne non seulement les outils mais aussi au niveau de la mentalité des hommes travaillant dans la structure. La structure est alors en pleine démarche de transparence. Tout cela se fait par la digitalisation par le soutien des bailleurs de fonds et des diverses aides. Ainsi, pour faire face aux divers effondrements causés par la construction de bâtiments sans permis de construire, représentant tout de même 80% des bâtiments de la ville, l’équipe de la Commune tente de digitaliser les procédures pour non seulement les alléger et pour éviter la corruption. La formalisation se fait petit à petit et pour éviter les comportements hostiles vis-à-vis des changements, il est nécessaire de démontrer des retours concrets à la population. La professeure en géographie appuie ce point en parlant de la notion de consentement de l’impôt qui est faible dans la ville du fait de l’Histoire de la ville des Mille.
Comme dit le maire, l’idéal est que les habitants s’approprient les idées de l’équipe de la Commune car le changement ne se fait pas du jour en lendemain ainsi il faut du temps pour que l’apport du mode de vie rurale en ville s’arrête et pour que l’adaptation à une réforme s’installe. Après tout, la docteure remarque qu’en 20 ans, la ville a subi un changement mais l’identité de la ville c’est-à-dire la manière dont les habitants voient la ville, n’as pas changé.
La ville des Mille : une urbanisation sans développement ?
Madame Catherine Fournet-Guerin affirme que nous ne pouvons pas parler, dans le cas de la ville d’Antananarivo, d’une urbanisation sans développement car nonobstant que le développement n’est pas rapide, il existe tout de même des changements dans la ville comme l’accès rapide à l’internet…En d’autres termes, l’urbanisation pose certes des problèmes mais reste une chance pour le développement, d’ailleurs, l’Histoire a démontré que l’urbanisation va toujours de pair avec le développement. Le maire lui, propose une transformation de ces nuisances en opportunités pour développer la ville.